Les Français travaillent-ils sept mois pour l’Etat ?

Les Français travaillent-ils sept mois pour l'EtatNon, les Français ne travaillent pas plus de la moitié de l’année pour « remplir les poches de l’Etat ». C’est pourtant ce que veulent faire croire plusieurs instituts de lobbying libéraux qui calculent ce qu’ils appellent un « jour de libération fiscale ». L’idée s’inspire d’une proposition de l’économiste ultralibéral Milton Friedman dans les années 1970 : créer une « nouvelle fête nationale (…) le jour de l’année où nous cessons de travailler pour payer les dépenses du gouvernement et où nous commençons à travailler pour les biens que nous choisissons ».

Pour savoir quand tombe ce jour fatidique, les uns multiplient la part des dépenses publiques dans le produit intérieur brut (PIB) par le nombre de jours dans l’année. Les autres rapportent le poids des cotisations sociales, de l’impôt sur le revenu et de la TVA à la somme du salaire net et des cotisations payées par les employeurs et les salariés. Cela donne selon la formule le 26 ou le 28 juillet. Ce n’est donc qu’à partir du 29 juillet que les Français commenceraient à coup sûr à travailler pour eux-mêmes. Sauf que ce raisonnement simpliste n’a strictement aucun sens, comme l’a rappelé l’économiste Henri Sterdyniak, de l’OFCE [1].

Un état producteur

Tout d’abord, le système fiscal français est redistributif. Un ménage avec deux enfants qui touche un Smic a un taux d’imposition très faible : 0,6 % (en prenant en compte les prestations reçues, l’impôt sur le revenu, la TVA et les cotisations sociales). Le même ménage qui gagne 10 fois le Smic © SEREDOC – Reproduction et rediffusion interdites

paie, en revanche, 34,6 % d’impôts. Le pseudo « jour de libération fiscale » ne tombe donc (heureusement) pas au même moment pour les deux…

Poids des dépenses publiques en 2011, en jours de travail

Ensuite, l’Etat, les collectivités locales et les hôpitaux jouent un rôle économique : ils produisent 18 % du PIB, via un certain nombre de services fournis à la population. Si la puissance publique ne s’en chargeait pas, les routes seraient toutes payantes, les gens devraient souscrire une assurance santé privée et les parents devraient rémunérer eux-mêmes les enseignants. Privatiser l’éducation, la voirie ou la santé permettrait sans doute de diminuer les impôts, mais il faudrait continuer à payer ces services et il est probable que la note serait au final plus salée pour les ménages comme on le constate notamment pour la santé aux Etats-Unis.

Transferts

Enfin, une grande partie des dépenses publiques sont en fait des transferts aux ménages. C’est le cas des retraites, des prestations familiales, des indemnités chômage, des arrêts maladies ou des congés maternité. Travailler deux mois par an pour financer les retraites, ce n’est pas travailler pour l’Etat, mais pour les générations précédentes et gagner ainsi le droit de recevoir soi-même de tels transferts plus tard.

Selon Henri Sterdyniak, les dépenses publiques représentaient l’équivalent de 211 jours de travail en 2011. 90 étaient immédiatement reversées aux ménages sous forme de prestations sociales, 77 leur profitaient directement (éducation, santé, culture, logement, environnement, police et justice). Seuls 44 jours de travail sont nécessaires pour le fonctionnement interne des administrations et pour financer la dette publique, la défense et le soutien aux entreprises.

Sources : Alternatives Economiques n° 327 – septembre 2013 

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